Billets qui ont 'Mauriac, Claude' comme nom propre.

Tout va très mal, Madame la marquise

Je lis Satori à Paris que j'ai récupéré hier soir au bookcrossing (thème: Paris. J'ai présenté La marquise sortit à cinq heures).

Ce livre me fait tellement rire que je vais sans doute le recopier tout entier.

Ainsi donc, la Bibliothèque Nationale qui ne communique aucun livre, les avions bloqués en bout de piste, les trains bondés, c'était déjà vrai en 1965? Ce ne serait pas dû au fait que nous sommes devenus trop nombreux (comme le soutient Hervé)? Well, well, well.
(Hélas, pas de notation sur le métro, cela m'aurait intéressée.)

Cela me fait rire mais ce n'est pas drôle, car si c'est une donnée permanente du caractère français, cela veut dire que cela ne va pas changer.

Malagar 1

Colloque à Malagar pour le centenaire de la naissance de Claude Mauriac. Pour tous ceux qui ne connaissent que le père, je fais la publicité du fils: des romans du Nouveau Roman "lisibes" (mais pour "lecteur averti" cependant, comme dit un commentaire de la bibliothèque de mon entreprise), des articles de journaux (dont cinéphiles), des rencontres (Jouhandeau, Gide, Cocteau,…) et un journal déstructuré ou restructuré (selon les points de vue: une chronologie recomposée par association de dates ou d'événements) couvrant la totalité d'une vie (la particularité de cette vie, c'est qu'étant le fils de François Mauriac, les personnes que Claude croisait naturellement étaient celles qui faisaient la France).

Ce que j'apprécie particulièrement chez Claude Mauriac, c'est la droiture et le scrupule, la tendance spontanée de tenter de comprendre le point de vue de l'interlocuteur ou de l'adversaire.

Interventions sur le diariste, le journaliste, le théâtre, un voyage tchèque (en 1938), La Marquise, etc.
Patrick intervient pour présenter l'amitié entre Jean Allemand et Claude Mauriac ainsi que le site Claude Mauriac dont il est webmestre.
(Mais c'est terrible, y a-t-il quelqu'un dans la salle qui ne tienne pas son journal?)

Rencontres interculturelles, encore. Ce voyage prend une teinte religieuse inattendue, entre le Belge agnostique, le Nantais appelé à témoigner au procès en canonisation du père Caffarel, l'incapacité de Claude Mauriac à croire malgré (ou à cause de?) la pression parfois excessive (à mon avis) de son entourage (Maurice Clavel, Xavier Emmanuelli) et mes voisines tchèque et russe catholiques (une Russe catholique? (un pour cent de la population)) au français varié et parfait.

(Et je remercie Aline qui a fait quatre heure de route pour venir nous saluer et partager quelques heures avec nous.)

Les Cathédrales à Rouen

RER de 7h23, train de 8h50. Tout le charme de l'excursion est dans la conversation à bâtons rompus dont il est difficile de se souvenir.
Café, cigarettes, donjon où fut prisonnière Jeanne d'Arc.

Exposition sur le mythe des cathédrales (très belle affiche).
Test de ce que j'ai retenu, en vrac (c'est un bon test, le problème étant que plus je me souviens, plus je me souviens (je veux dire qu'au début j'ai l'impression de me souvenir de rien, puis tout revient en tirant le fil)):

- le couronnement de Charles X, les cathédrales pavoisées lors des victoires, des sacres, la bénédictions des drapeaux: «Louis XVIII n'a jamais été couronné. — C'est vrai? — Oui, de toute façon, vu sa corpulence, cela aurait été difficile, il faut s'allonger… — Ah tiens, ça va me faire un moyen mémotechnique pour ne plus confondre Charles X et Louis XVIII, le grand maigre et le petit gros… — Ça n'a pas empêché Louis XVIII de se faire faire un costume de sacre.»

- l'extraordinaire succès de Notre Dame de Paris publié en 1931 par Victor Hugo à 29 ans: «Je ne m'étais pas rendue compte qu'il avait mis les cathédrales à la mode. — Il ne les a pas mises à la mode, elles étaient déjà à la mode. Tu as vu tous les produits dérivés à la suite du livre? — Mais ce n'est pas ça, lancer une mode, je veux dire ce n'est pas provoquer des produits dérivés?»

- les dessins de Victor Hugo. Quelle force, de loin on voit tout de suite que c'est bon, on est tout surpris de découvrir qu'il s'agit de Victor Hugo en s'approchant: il était vraiment bon.

- de Staël: «J'aime beaucoup de Staël. Il y a une exposition au Havre, je vais y aller — seul s'il le faut.»

- l'incendie de la cathédrale de Reims en 1914 et son utilisation par la propagande.

- les premières photos de cathédrales — de très belles photos.

- la construction de la flèche de Notre-Dame de Paris au XIXe siècle, l'achèvement de la cathédrale de Cologne.

- la phrase «Les cathédrales ont pris la place des ruines antiques dans les tableaux.»

Nous déjeunons en terrasse d'une andouillette à la mémoire de Foucault. Visite des collections permanentes l'après-midi. C'est immense. Caravage, Véronèse («à La Palisse, ils ont un Véronèse hideux. Il ferait mieux de le vendre pour refaire le toit de la chapelle.»), nous repérons deux portraits de RC, LE David d'Angers (pensée pour Aline) (dieu que cette salle est froide), les Emile Blanche ont disparu («la dernière fois nous avons demandé aux gardiens où ils se trouvaient, ils ont téléphoné partout, personne ne le savait»). Je suis surprise par le nombre de peintres femmes exposées, avec à chaque fois la même explication sur le cartouche: elles n'avaient pas droit de suivre des cours avec les hommes; le portrait et les natures mortes leur étaient réservées car elles ne pouvaient faire des études de nus.
Achat de quelques cartes postales, détour par le Palais de Justice (Laurent connaît admirablement la ville), rafraîchissements en terrasse (un lait orgeat en mémoire de Claude et François Mauriac), pas de gâteau somptueux à photographier. Partage des vaches pour timbrer les cartes postales.

Nous rentrons, paysages de la Seine, nous attendons Zola («à l'époque, ils s'installaient à deux pas de la gare, nous ne ferions plus ça») et ratons Marly à cause d'un malencontreux train en sens inverse qui nous bouche la vue. Conversations, Patrick demande à la contrôleuse (une photographe, la chance!) de nous photographier tous les trois. Nous aurons peut-être la photo un jour, quand il aura changé d'ordinateur. Quoi qu'il en soit, nous nous souviendrons.

Dimanche

Journée dans les brumes, je décélère. Au programme maintenant pendant un mois, Claude Mauriac, en anticipation du colloque d'octobre.

Matin

Il fait si froid que les oiseaux ne chantent pas. Fini de ranger un étage (ou persque). Il reste l'aspirateur à passer. Ceci est ma pause.

Reçu hier le dossier d'inscription pour un cycle de huit ans. Ça fait un peu peur, il ne faut pas y penser. (Ai-je une photo d'identité récente dans mon bordel? Comment le savoir vite puisque c'est le bordel?)

Fini Le Temps immobile 3. La fin exactement contemporaine de ma première rentrée scolaire en France. Impression qu'on m'explique (enfin) mon enfance, la rumeur de la radio, mes parents (jamais de politique, jamais de sexe) échangeant des regards en entendant parler de Franco (exactement comme ils commenteront la maladie de Tito en février 1980: «la Yougoslavie va éclater à sa mort»).

Gauche ou droite ?

A quelle séance des cruchons la majorité des présents (ou tous? il me semble que c'était tous) s'est déclaré de gauche?

Les lignes de Claude Mauriac que je lis ce matin font remonter en moi toutes les raisons pour lesquelles je ne me déclarerai jamais plus de gauche:

- mon dégoût de Mitterrand;

- mon écœurement devant toutes ces personnes de gauche qui ont des comportements de droite (école privée, voiture luxueuse, banlieue chic) mais qui s'autorisent à vous faire la morale sur ce qu'il est possible de dire ou ne pas dire (ceux qui vous interdisent de dire un mot contre les banlieues (ie, qu'il est inadmissible qu'on accepte des zones de non-droit) mais vous demandent s'ils peuvent garer leur voiture dans votre jardin, parce que c'est plus sûr que la rue une nuit de Saint Sylvestre);

- ma tristesse devant ces enfants abandonnés, cette (ces) génération sans recours, à laquelle on n'a rien appris, sous prétexte de ne pas la brusquer, de ne pas la traumatiser, (et à mon avis, aussi par manque de courage, car il en faut, du courage, pour être dur quand il est tellement plus facile de passer pour un bienfaiteur magnanime).

Et puis bon gré mal gré, il est probable que je me sente plus à l'aise du «mauvais côté», toujours, que ce soit en politique ou ailleurs, parce que lorsque je ne partage pas totalement les opinions du côté où je me range sans qu'il soit viscéralement le mien, je souffre moins que lorsque qu'il me faut assister aux bêtises de gens que j'aime profondément. Il est plus facile de pardonner à ses ennemis, le sentiment de déception ou de trahison est moins profond. (Et ceci, bien sûr, est un peu lâche, aussi: après tout il s'agit d'éviter de souffrir.)

Souvenir

Je me retrouverai dans cette ténèbre lactée d'un soir de lune, tel que je suis toujours en ces heures-là, attentif au ruissellement de la Hure, à cette calme nuit murmurante, pareille à toutes les nuits, à cette même clarté qui baignera la pierre sous laquelle le corps que je fus finira de pourrir. Ce temps qui coule comme la Hure et la Hure est là toujours et sera là encore et continuera de couler... Et c'est à hurler d'horreur. Comment font les autres? Ils n'ont pas l'air de savoir…

François Mauriac cité par Claude Mauriac, Les Espaces imaginaires, p.495
En lisant ses lignes, je retrouvais exactement la sensation de certaines conversations avec Paul.

Il est enterré à Sèvres, je l'ai appris en allant poser la question à Saint-Sulpice en février. Il a été enterré très vite, le 16 avril.
Le 17, je passais au pied de son immeuble, ignorante.

Le pilier de Paul Claudel

Notre-Dame de Paris, huit heures du matin. L'éclairage entre les piliers est diffus, parfait, sans rien de la dureté des spots utilisés parfois dans les églises (je n'aime pas que les églises soient trop lumineuses. Ni trop sombres.) La cathédrale devient intime, resserrée.
Ma récente lecture de Claude Mauriac me pousse à rechercher "le pilier de Paul Claudel" (c'est en fait "Notre-Dame du Pilier" qu'il aurait fallu chercher, mais je ne le savais pas). Spontanément je le cherche au même endroit que "le pilier de Péguy" à Chartres (le pilier comportant une plaque commémorant son pèlerinage), mais celui de Claudel est de l'autre côté, à droite du chœur à la croisée des transepts. Le lieu est signalé par un pavé gravé]. Ce pavé se trouve au pied d'un pilier sur lequel est aujourd'hui clouée une plaque à la mémoire de Mgr Lustiger. Le texte en commence ainsi: «Je suis né juif et je porte le prénom de mon grand-père Aron»…


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Agenda (ajouté en 2018) :
Furieuse contre la bibliothèque de Sciences-Po qui veut un justificatif de domicile alors que je paie ma cotisation d'ancienne élève par prélèvement depuis des années. J'y ai oublié mes gants rouges. Carnets de Finnegans Wake avec l'équipe de Daniel Ferrer. Passé en librairie. 3e tome de Mme de Sévigné en pléiade. Bière avec Patrick jusque tard dans la nuit.

Retour

Petit déjeuner. Nous restons mystérieux, nous ne disons rien ni de la veille, ni de la journée, juste au moment de partir:
— Nous ne pouvons pas tarder, nous avons un rendez-vous.
— Ah, vous avez un rendez-vous… (Il ne s'agit que de la messe, nous sommes méchants.)

Nous prenons la route. Je dors.

Malagar, la terrasse, la charmille, je contemple un paysage très peu abîmé (certes il y a des bâtiments neufs ou modernes, mais aucun d'un blanc éclatant, pas de route, pas de poteau électrique remarquable1). Je cueille une figue.
Verdelais, apparemment célèbre par son pélerinage, que je ne connais pas. Eglise baroque roccoco, surchargée. Un père marianiste, Roger Geysse, fête ses soixante-dix ans de sacerdoce. Il a prononcé ses premiers voeux en 1940 en Belgique et évoque la fuite des séminaristes devant les Allemands. L'épopée prend des allures de miracle.

Retour à Malagar. Selon le précepte de Patrick «Quand tu hésites à acheter un livre, achète-le» (je pourrais peut-être le faire graver sur ma tombe pour les passants), je cède à la tentation et prend la thèse de Natalie Mauriac-Dyers, Proust inachevé. Et trois bouteilles du domaine.

Nous reprenons la route. Jean Allemand revient sur la structure du Temps immobile. Il a établi un relevé des entrées quotidiennes du journal collées et montées dans le Temps immobile, qui est un journal reconstitué en jeu de miroirs, bouleversant l'ordre chronologique, par fragments réfléchissants rapprochant les mois et les années. J. Allemand a établi un index qui permet de savoir si et où et comment (partiellement ou intégralement) telle entrée du journal quotidien a été utilisée, index que Patrick met progressivement en ligne.

Ce qui n'a pas été repris est essentiellement d'ordre sentimental, et quoi qu'il en soit, Claude Mauriac est toujours resté très discret, même dans son journal quotidien. Ce qu'a surtout coupé Claude Mauriac, ce sont ses notations malveillantes (je ne peux croire qu'il y en avait beaucoup. La lecture du début du Temps immobile montre un homme si peu prompt à juger, à condamner... (voir les passages sur la prison des femmes après la Libération (p.163 dans l'édition Grasset), ou sur cette femme veuve d'un homme fusillé pour collaboration (p.297), ou encore sa condamnation de la méchanceté de Gide lisant sa préface à Armance devant un impuissant notoire (p.295))).

Vers déclamés, Hugo, Claudel, Péguy, Mallarmé...
Je colle des bribes, mais elles n'ont pas été prononcées dans cet ordre.
— Il faut retrouver le premier vers et ensuite tout vient... Je connaissais toute la Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Chartres. Hugo c'est facile, ce sont des procédés réthoriques... Ce qui est difficile avec Péguy, c'est que cela change à peine, c'est cela qui est difficile. Quand j'étais à l'hôpital après mon opération j'occupais mes après-midis à reconstituer les poèmes que j'avais appris.

— Ce toit tranquille, où marchent des colombes, / Entre les pins palpite, entre les tombes; / Midi le juste y compose de feux (et je pense à une erreur que je fis autrefois en copiant du RC)... Les mots se cherchent, tremblants, hésitent, parfois coulent librement: Ouvrages purs d'une éternelle cause. Il faut dire "Ouvrages | purs d'une éternelle cause"; "Ouvrages purs | d'une éternelle cause", ça ne voudrait rien dire... Zénon! Cruel Zénon! Zénon d'Êlée! / M'as-tu percé de cette flèche ailée / Qui vibre, vole, et qui ne vole pas! / Le son m'enfante et la flèche me tue! / Ah! le soleil . . . / Quelle ombre de tortue / Pour l'âme, Achille immobile à grands pas! (Oserai-je avouer que je connaissais ces vers sans en connaître la source?) Le vent se lève! . . . il faut tenter de vivre! / L'air immense ouvre et referme mon livre, / La vague en poudre ose jaillir des rocs! / Envolez-vous, pages tout éblouies! / Rompez, vagues! Rompez d'eaux réjouies / Ce toit tranquille où picoraient des focs!
Jean se tourne vers moi et précise: "Foc, f-o-c, pas p-h", et j'ai envie de rire.

— Les trois dernières semaines de mon service militaire j'ai lu La Recherche et j'essayais d'apprendre les poèmes de Mallarmé... A la fin je n'étais pas bien vaillant, je devais peser cinquante-trois kilos.

— La Vendée aurait dû s'appelait les deux-Lays comme il y a les deux-Sèvres, mais les députés du lieu étaient très laids et l'on a craint qu'ils y voient une allusion, alors le département a pris le nom de Vendée, ce qui crée une confusion avec la Vendée historique, celle de la révolte royaliste. Mais je ne crois pas qu'il ait jamais existé de région de ce nom, c'était le Poitou, la Marche.

Que choisir pour sa vieillesse, où s'établir, région de France et mode de vie. Question sans réponse. J'entends cette remarque qui m'enchante par sa spontanéité: «Ma mère était très heureuse en maison de retraite. Elle disait: "Moi qui ai servi les autres toute ma vie, maintenant on me sert!"»
Je n'y aurais jamais pensé.

Je dors.

Nantes, un café, une caisse de livres, je feuillette religieusement la transcription du cahier 54 de Proust.
Retour, il y a énormément de monde sur l'autoroute, la conversation prend un tour plus familial. Qu'est-ce qu'une vie, que faire, jusqu'où pouvons-nous ou devons-nous intervenir dans la formation (au sens large) et dans la vie de nos enfants?
Chartres, une dernière cigarette, je reprends la route, rock métal sur France-Musique, un dimanche soir ah bon, mais ce n'est pas désagréable. Dommage, beaucoup trop de noms, je confonds tout inévitablement, à la fin d'un morceau je ne sais plus si le présentateur parle du chanteur précédent ou du suivant.
Note mentale concernant un livre écrit par un rockeur («Pour ceux qui savent l'anglais, très intéressant, très fin, très drôle, ça nous change des habituels livres des rockeurs d'un ennui infini» se lâche le présentateur): Things the Grandchildren Should Know de Mark Oliver Everett.

Je me perds dans Tigery.
Je suis rentrée.



1 : Note à Demeures de l'esprit France Sud-Ouest.

Nœuds

François Mauriac ressemble beaucoup à mon grand-père : même silhouette, même forme de visage, même moustache. Cela m'en rend la lecture difficile, associée à une odeur particulière de savon et de cuir.

La vie de bureau impose à mes heures de bureau une sorte d'hébétude.
Claude Mauriac, Le temps immobile, p.138 (22 janvier 1942)

Lorsque Paul fut appelé sous les drapeaux, il était déjà marié et avait un enfant (c'était en 1945 ou 1946. Il avait donc vingt-quatre ou vingt-cinq ans : est-ce que l'âge du service avait été décalé du fait de la guerre ? Cela paraîtrait logique. Mais pourquoi n'est-il pas parti en Allemagne en STO? Parce qu'il était étudiant? Il n'est plus là, il est trop tard, je n'ai pas posé assez de questions). Il travaillait alors à l'INAO. Je sais qu'il s'adressa à Claude Mauriac qu'il connaissait un peu (par son oncle ou sa belle-sœur?) afin de se faire exempter du service militaire — ce qui lui fut accordé.

Je me demande si Hubert n'était pas le fils de cet oncle, André. Il me semble me souvenir vaguement d'une sorte de revanche familiale, le fils poursuivant la carrière interrompue du père.
Si c'est cela, il me semble que cet oncle avait divorcé (à une époque et dans un milieu où cela ne « se faisait pas ») et que sa seconde femme avait connu le même sort qu'Odette Swann : elle n'avait été reçue par la famille et les amis de celui-ci qu'une fois devenue veuve. (Cette similitude de destin était le genre d'anecdotes auxquelles je m'accrochais pour convaincre Paul de l'intérêt de Proust, qui le fascinait et le révulsait).

Comme tout cela est flou et brouillé. Je pensais avoir toujours le temps de demander des précisions, de toujours pouvoir démêler les fils le moment venu en posant quelque questions. Trop tard, trop tard.

Un 13 mars chargé

- 10h à 13h : Jean Allemand, Club Nautique de France (mais non, je plaisante, je ne pensais pas y aller (s'il y a séminaire, je m'invite (private allusion)).

- 16h : Rencontre-signature avec Patrick Cardon pour son livre Le Grand Écart ou tous les garçons s'appellent Ali, vignettes post-coloniales, Centre LGBT 63 rue Beaubourg 75003 Paris. (Patrick Cardon est éditeur. Il s'est engagé dans le combat gay et lesbien sous le nom de la comtesse de Flandres, dans les années 80. Je l'ai rencontré à l'occasion d'un AG de la SLRC (pour ceux que ça intéresse.)

- 18h : rencontre avec RC (pour ceux qui auront les guts d'y aller sans aller à l'AG: on essaie de m'y pousser, je trouve cela très impoli (pas qu'on m'y pousse, d'y aller sans etc.). Qu'en pensez-vous?)

Constellation

Ce qui est étonnant quand j'écoute Paul parler, ce sont les mondes qu'il fait naître, qu'il a côtoyés. Sa grand-mère paternelle avait une sœur qui a eu un fils, Gaston Fessard, qui est donc un petit-cousin. Son père avait deux frères. L'un d'entre eux, qui avait réussi langues-O mais abandonna la carrière sous la pression de ses beaux-parents, écrivit un peu, dont quelques articles à la NRF. Il fréquentait Gide.

Paul a été au collège avec Roland de la Poype, héros de Normandie-Niémen, et avec Jean Lefeuvre, l'un des artisants principaux du dictionnaire dit Le grand Ricci .
Le frère aîné de Paul entra dans la résistance aux côtés du père Michel Riquet, qui fut déporté à Buchenwald avec Marcel Paul. Plus tard, celui-ci devenu ministre fit verser au père de Paul, liquoriste, une allocation d'alcool pur en pleine période de rationnement, sur la recommandation du père Riquet [1].

Paul travailla à la première classification des vins (les Bordeaux AOC) plus ou moins sous les ordres de Claude Mauriac. L'une de ses belles-sœurs fut la secrétaire de de Gaulle, et c'est sans doute grâce à elle qu'il fut l'ami du médecin de Malraux.

Son beau-père habitait à Ville d'Avray la maison mitoyenne de celle de Jean Rostand. Il était professeur de littérature à Condorcet. Il eut pour élève Obaldia (et Paul se souvient d'Obaldia dans la salle à manger) et Jacques Laurent, qui bien plus tard emmenait son professeur devenu vieux revoir la cathédrale de Chartres, pour laquelle il avait une passion.

En dix ans de déjeuners hebdomadaires j'ai vu ainsi défiler des noms que je prends aujourd'hui la peine de noter. Je n'en reviens pas de tant de convergences (ou plutôt de tangentes, car Paul n'a jamais que côtoyé sans appartenir) autour de son seul nom.

Notes

[1] Je prends conscience qu'il y eut une fraternité entre les "revenus des camps" comme il y en eut une des tranchées: fraternité qui explique des courants souterrains débordant les classiques clivages politiques.

FB IRL

Dimanche. Nous avons rendez-vous avec Patrick au Chat noir (rue Jean-Pierre Timbaud), mais finalement nous nous installons en face, dans un café vide.

Cette journée sera l'occasion d'apprendre bien des choses sur Patrick, en particulier qu'il est le traducteur-réviseur d'une biographie de Melville1 et le webmaster du site consacré à Claude Mauriac.
Nous discutons agréablement; nous faisons connaissance: après tout, je ne le connais que comme commentateur de mon blog et participant des lectures de L'Amour l'Automne chez Rémi, nous n'avons jamais eu l'occasion de nous parler plus de cinq minutes d'affilé.

Nous assistons à La Légende du grand Inquisiteur.

A la fin de la représentation, moment d'hésitation. Avec mon célèbre sens des relations sociales, j'hésite à aller me présenter, je sais (via FB) qu'une amie de Benoît est dans la salle, j'ai peur de déranger, de m'imposer. Seul le fait de savoir qu'il me sera impossible d'expliquer ensuite pourquoi je ne suis pas allée me présenter me décide à y aller. Je balbutie quelques mots à genou en aidant à éteindre les bougies.

On s'est bien amusé.

Nous avons évoqué la mémoire comme muscle, le costume d'inquisiteur taillé sur mesure (et le nombre de boutons), la tricherie au niveau du chapeau (les deux pompons remplacés par une ganse 2, la possibilité que Benoît prenne feu (le bûcher grandeur nature, la vengeance de Jésus, «Il revient et il n'est pas content»); le théâtre aujourd'hui qui ne «ne sent plus assez le cul», Cécile Sorel qui jouait au Français puis terminait sa soirée en descendant les marches des Folies Bergères, les danseuses des Folies Bergères (danseuses ou pas? (Sajani, danseuse, faisait la moue)), la possibilité de jouer la suite du Grand inquisiteur ou une adaptation des Discussions obstinées 3 dans un filet façon Théâtre des deux boules 4, l'organisation d'un happening à Bruxelles pour surprendre Jean-Yves en tee-shirt "Pranchère lovers" (j'ai songé confier cette organisation à Naoki),…

Benoît était le premier contact "pur FB" que je rencontrais.

Patrick, C. et moi déambulons aux Halles afin de s'acquitter d'une vieille promesse: boire une Guinness ensemble. Cela prend un peu de temps et nous finissons par échouer au Hall's Beer que je vais de ce pas ajouter à ma liste.


Note
1 : Herman Melville par Lewis Mumford, première biographie écrite lors de la redécouverte de Melville dans les années 20.

2 : Mais finalement, peut-être n'avions-nous pas les idées mal placées: Paul m'a appris hier que l'une des questions qu'on pose au pape lors de son intronisation est à peu près: "en avez-vous deux bien descendues?" (mais en latin, c'est tout de suite plus classe.) Est-ce une conséquence de la papesse Jeanne ?

3 : C.: — C'est quoi "Discussions obstinées"? Moi: — Un débat sur la pornographie. C.: — Ça ne m'étonne pas.

4 : C.: — C'est quoi le théâtre des deux boules? Moi: — Un cabaret porno où les ébats avaient lieu dans un filet au-dessus des spectateurs. On recevait de la sueur et autres… Benoît, mort de rire: — Ah tu connais?
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